I- LE CRYPTAGE AU SECOURS DU MONOPOLE


24. Le double but du cryptage est donc de limiter l'accès à l'oeuvre et d'en contrôler l'utilisation. Le cryptage vient donc idéalement compléter et renforcer l'effectivité du monopole de l'auteur (A). Toutefois, l'analyse juridique a ses tempéraments, surtout en cette matière sensible du Droit d'auteur. Les intérêts et les droits, dits satellites, comme ceux des utilisateurs emportent leurs parts de considérations dont il convient de tenir compte. C'est à la lumière des intérêts en jeu qu'il faut mesurer le possible retour au principe d'un droit exclusif fort (B).

A- Un atout pour la protection du monopole

25. Le cryptage constitue un outil technique au service de la prérogative juridique majeure du Droit d'auteur qu'est le monopole de l'auteur (2). Toutefois, la mise en place du système de cryptage n'est pas sans entraîner des difficultés pratiques, nous évaluerons donc son domaine (1).


1- Le domaine du cryptage

26. Il n'appartient pas au cryptage de régler tous les maux dont peut souffrir le Droit d'auteur. Toutefois, s'il ne peut totalement empêcher la contrefaçon, il peut la rendre plus difficile à réaliser. Ceci peut suffir à opter pour le recours au cryptage. La solution, même temporaire, du cryptage est une nécessité dans cette dynamique des techniques qui peuvent rendre exsangue le droit patrimonial de l'auteur. Quels sont, donc, son champ d'application (a) et les applications utiles (b) ?


a) Le champ d'application du cryptage

27. Le cryptage, dans sa fonction d'interdiction d'accès, peut s'appliquer à tout type de forme objectivée de l'oeuvre, dès lors qu'elle est diffusée par le biais d'un moyen technique. Il ne peut s'appliquer que lors de la diffusion de cette oeuvre et/ou lors de sa réception par le biais d'un moyen technique tel qu'un terminal informatique ou un écran de télévision. Il convient, dans ce cas, de parler de " télédiffusion ".

28. L'article L. 122-2 du CPI dispose que la représentation consiste dans " la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque et notamment ... par télédiffusion ". L'article L. 122-2 al. 2 du CPI nous en donne la définition suivante : " la télédiffusion s'entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de message de toute nature ". Sont ainsi visés les procédés de télécommunication par voie hertzienne, le câble, le satellite et la télématique(donc les réseaux du type Internet).
Le cryptage, dans cette fonction spécifique, est donc cantonné aux transmissions et retransmissions de l'oeuvre. La consultation directe, physique, charnelle avec les supports de l'oeuvre lui échappe.

29. Le cryptage, dans sa fonction tatouage de l'oeuvre, ne peut s'appliquer que sur une oeuvre numérisée. Toutefois, cette limite n'en est plus vraiment une, le " tout numérique " étant une réalité palpable.

30. Enfin, la mise en place des systèmes de protection utilisant le cryptage doit s'accompagner d'investissements et de consultations. La bataille des normes de cryptage, des standards va poser problème. Ils devront nécessairement permettre l'interopérabilité des moyens d'utilisation des oeuvres.


b) L'arsenal technique utile

31. On peut affirmer que le marché des appareils et des supports de reproduction possède la fonction avouée de violer le monopole de l'auteur. La numérisation permet facilement les copies serviles, ou véritables clones de l'oeuvre qui peuvent être à l'origine d'un véritable marché pirate. Comme l'illustre G. KOUMANTOS, le Droit d'auteur a profondément été influencé par l'évolution technique. Celle-ci pose plus de problèmes aux niveaux de la reproduction et de la représentation. Il y a, en effet, plus de problèmes d'exercice de ce droit que de problèmes de titularité, même si ces derniers ne sont pas à négliger.

32. Comme tout poison sécrétant son propre antidote, la technique livre ses propres parades. L'auteur dispose par son biais d'outils de lutte contre l'exploitation illicite de son oeuvre. Le foisonnement technique est tel qu'il est à la fois malaisé de cerner la frontière (sans doute reculée) et présomptueux de prétendre à l'exhaustivité, qui n'est d'ailleurs pas l'objet de cette étude. Parcourons l'état de la technique en matière de cryptage protégeant les oeuvres.

33. Le cryptage et les techniques cryptographiques sont à la base des systèmes de protection allant de l'identification de l'oeuvre, du contrôle et du maintien de son intégrité, à l'interdiction d'y accéder, en passant par la faculté d'interdire certaines utilisations de l'oeuvre. Examinons les outils disponibles.

34. Quant aux outils pour l'identification de l'oeuvre, il existe en matière d'enregistrement sonores et audiovisuels, le code ISRC qui constitue une norme reconnue par l'ISO. Il s'agit d'un code comportant 12 caractères alphanumériques identifiant le pays d'origine de l'enregistrement, le premier propriétaire, l'année d'enregistrement et son numéro. Incorporé à l'enregistrement, ce code est inaudible à la diffusion, grâce au procédé de stéganographie, mais identifiable sur les supports numériques et la diffusion radiophonique. Près de 50 % des Compact Disc audio dans le monde sont munis de ce code. Des travaux sur la numérotation unique des oeuvres sont déjà entamés au sein de la CISAC: existent le numéro musical unique, l'ISWC, ainsi que le numéro pour les oeuvres audiovisuelles, l'ISAN.
L'ITTS est le code utilisé pour les transmissions radionumériques. Il comporte des éléments pour identifier la localisation de l'enregistrement, sa date de fixation et le nom de l'artiste-interprète (les titulaires de Droits voisins du Droit d'auteur ne sont pas oubliés). De nombreux projets sont donc à l'étude.
En matière de logiciel, l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) étudie avec l'Agence pour la protection des programmes (APP) un système d'identification internationale. Ce code identifiera les oeuvres et fournira en plus aux utilisateurs des informations sur les utilisations autorisées. De même, une clé d'intégrité électronique permettra de déceler les manipulations illicites.
Ces techniques d'identification permettent un traçage de l'oeuvre et coupler avec un système de repérage, elles laissent espérer une meilleure gestion des droits afférents à son utilisation. A l'avenir trois grandes centrales d'identification, basées en Europe, Asie et Etats-Unis, se répartiront la couverture du monde entier.
Les auteurs seront plus facilement identifiés. Le code d'identification de l'oeuvre renvoient à celui de l'auteur et/ou de l'ayant-droit grâce au système dit du code CAE qui identifie un contrat particulier. L'intervention humaine devient limitée.

35. Quant aux outils protégeant l'intégrité de l'oeuvre, on vient de voir qu'un système de clé, ou signature numérique, en garantit la conservation. Dés lors qu'un bit est modifié au sein support numérique de l'oeuvre, la vérification échoue et avertie de la modification.

36. Quant aux outils de protection contre les copies illicites, la norme SCMS est un système de prévention, intégré dans le matériel de lecture de l'oeuvre, n'autorisant qu'une seule copie numérique. Ce système est limité pour l'instant aux lecteurs de cassettes numérique DAT, mais il pourra étendre le verrou contre la copie à tout autre type de matériel.
Au niveau européen est à l'étude un modèle de protection du Droit d'auteur permettant de surveiller la copie. Il s'agit du projet CITED.
Il existe aussi un système de prélèvement basé sur le système des cartes à puces : le consommateur paye un support qui stocke les oeuvres et la carte est débitée chaque fois qu'un enregistrement privé est effectué. Mais ce système est contraignant et donc peu compatible avec la volonté de faciliter l'usage de l'oeuvre.

37. Quant aux outils d'interdiction d'accès à l'oeuvre, il existe des systèmes, utilisés lors de la télédiffusion, de brouillage des impulsions dites de synchronisation qui empêchent toute lecture compréhensible du son et de l'image. Une seconde génération de systèmes utilise la méthode de " la rotation active des lignes " ou celle du mélange des lignes. Les entreprises de communication audiovisuelle sont les principaux demandeurs.
Actuellement, existe, en matière de logiciel, un système appelé " Software Envelop system " où l'oeuvre est proposée à l'utilisateur sous forme cryptée. Dès son adhésion aux conditions d'utilisation et au prix, un programme de décryptage lui est transmis.

38. Le cryptage est sans conteste une des voies techniques renforçant le monopole de l'auteur les plus efficaces. Les prérogatives de l'auteur émanant de son droit patrimonial sont les principales bénéficiaires.


2- Un outil technique au service d'une prérogative juridique

39. Le cryptage participe de la nature même du monopole de l'auteur (a). Il constitue un complément technique aux règles juridiques de protection de l'oeuvre ; et à ce titre comment envisager la symétrie des protections entre le Droit d'auteur et le cryptage ? (b).


a) Le cryptage participe de la nature du monopole de l'auteur

40. La loi reconnaît à l'auteur d'une oeuvre de l'esprit des droits patrimoniaux et moraux. L'article L.111-1 du code de la Propriété Intellectuelle précise que " l'auteur jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ".
Au delà du débat portant sur la qualification réelle de ce droit dît de " propriété incorporelle", et de son régime, l'auteur peut juridiquement crypter son oeuvre. Il a tout loisir de le faire. Le droit de crypter est alors considéré comme un accessoire du droit exclusif. De même que crypter une oeuvre nécessite l'autorisation de l'auteur. Par contre, la simple fourniture de moyens de décryptage ne peut présumer seule l'autorisation de l'auteur d'exploiter.

41. La volonté des auteurs n'est pas nécessairement de freiner le processus de diffusion de leurs oeuvres, mais sûrement de le maîtriser et de percevoir la juste rémunération. Dans ce sens, le cryptage participe de la nature du monopole de l'auteur. Il est dans l'orbite du droit exclusif.

42. Les prérogatives de l'auteur autour de son droit exclusif deviennent plus effectives. Elles prennent un sens plus discrétionnaire et autoritaire. Si le monopole de l'auteur comporte le droit d'exiger d'autrui une abstention, c'est à dire l'obligation de ne pas se mettre dans une situation semblable à celle qui est réservée exclusivement aux privilégiés. Le cryptage permet matériellement d'empêcher à l'utilisateur l'exercice d'une activité qu'il pourrait mettre en oeuvre en tant que propriétaire. Même si le cryptage ne garantie pas une totale protection, celle-ci est de plus en plus difficile à contourner. Pour pouvoir utiliser l'oeuvre, il faudra se conformer aux limitations techniques engendrant des obligations de la part des utilisateurs particuliers et des entreprises de communication audiovisuelle. Ces dernières, grâce au cryptage, peuvent maîtriser exactement l'empreinte de leur diffusion et respecter par la même l'étendue de l'autorisation de l'auteur.

43. Le cryptage constitue le mode de protection actif du monopole de l'auteur, le régime de la contrefaçon étant le mode réactif de protection. On sait que plus qu'un droit, la sécurité pouvait s'apparenter à un devoir. L'heure est sûrement à la transposition de cette règle en matière de Droit d'auteur, pour le secours du monopole de l'auteur. D'ailleurs, sur la question du plombage des logiciels, la jurisprudence s'est déjà prononcée pour leur validité.


b) Un complément aux moyens juridiques de protection

44. Le cryptage est donc le relais technique aux dispositions légales de protection du monopole du Droit d'auteur. Des outils juridiques préexistent, mais au lieu de rechercher la punition et le contentieux, le cryptage apporte une protection préventive.

45. On peut dès lors se poser la question de savoir comment appréhender le contournement du cryptage de l'oeuvre ? N'existe-t-il pas du fait de leurs rapports serrés, une symétrie des protections ? Le cryptage au secours du monopole et le Droit d'auteur au secours des moyens de cryptage, et surtout au secours du contournement des systèmes de protection de l'oeuvre ?


46. La contrefaçon est conçue de façon extensive . L'article L. 335-3 al.1 CPI précise qu' " est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi ". La cour de cassation apprécie le texte de la même façon extensive en affirmant que la contrefaçon " se constitue simplement par l'atteinte portée aux droits de l'auteur... ". Par extension, la contrefaçon peut être le fondement d'une action visant à lutter contre le décryptage de l'oeuvre. On peut qualifier le contournement du système de protection de l'oeuvre en contrefaçon.

47. La question est celle du contournement des systèmes de protection de l'oeuvre. La simple captation frauduleuse, qui fait partie de ce contournement, fait l'objet d'une législation spécifique : la loi de 1986 relative à la liberté de communication. Toutefois, elle ne renvoie qu'à la seule protection des programmes télévisés. Or, ces programmes ne constituent pas tous des oeuvres au sens de la Propriété Littéraire et Artistique. Cette réglementation n'est donc pas pleinement satisfaisante.

48. Dans le cadre des discussions sur le projet de Protocole à la Convention de Berne, ainsi que sur le Nouvel Instrument pour la protection des droits des producteurs et des interprètes de phonogrammes, il est suggéré d'assimiler à des violations du Droit d'auteur la fabrication, l'importation et la distribution, à des fins de location et de vente, " de tout dispositif destiné à permettre ou à faciliter la réception d'un programme codé, radiodiffusé ou communiqué de toute autre manière au public, par des personnes qui ne sont pas habilitées à le recevoir ".
Cette protection par le Droit d'auteur du contournement du cryptage consacre l'analyse érigeant le cryptage comme participant de la nature du monopole. Toutefois, cette analyse n'est pas exempte de critiques compte tenu du domaine du Droit d'auteur, hermétique à la technique.
De plus, l'appréhension par le Droit d'auteur de la protection des systèmes de cryptage et de protection technique de l'oeuvre pose-t-elle des problèmes de conflits de lois ? On peut se poser cette question, compte tenu des différents niveaux de protection qui cohabitent ensemble.
49. En fait, il n'y a pas d'incompatibilités juridiques ; un acte peut constituer une infraction au Droit d'auteur, au droit des Télécommunications et au droit de l'informatique comme l'incrimine la loi GODFRAIN.
De plus, on peut s'inspirer de la réglementation actuelle en matière de logiciel. Le décret n. 96-103 du 2 février 1996 ajoute l'article R. 335-2 au CPI réprimant pénalement " toute publicité ou notice d'utilisation relative à un moyen permettant la suppression ou la neutralisation de tout dispositif technique protégeant un logiciel ". Il faut souligner que la décompilation, qui nécessite souvent le décryptage de l'oeuvre, demeure soumise à l'autorisation de l'auteur selon l'article L. 122-6 CPI.

51. Par le jeu des différentes réglementations, le contournement des systèmes de cryptage est réprimé. Nous sommes loin du vide juridique souvent dénoncé. Mais il est nécessaire d'engager une réflexion au niveau international, tant est grande la volatilité des oeuvres. Il faut ignorer toute référence à la réciprocité, la protection des nationaux passant, en effet, par une protection identique des étrangers. La règle du traitement national se justifie autant en termes d'efficacité qu'en termes de justice.
A ce sujet, la réflexion est bien entamée au niveau européen. Au delà du Droit d'auteur, il existe un souci de la Commission Européenne d'assurer la protection juridique des services cryptés dans le marché intérieur. De même, le Livre Blanc américain sur la Propriété Intellectuelle suggère l'adoption d'amendements, complétant l'arsenal législatif, qui sanctionnent pénalement la fabrication et la mise sur le marché de dispositifs ayant pour finalité première de contourner la protection technique des oeuvres.

52. Il faut encourager l'appréhension par le Droit d'auteur des contournements de la protection technique de l'oeuvre pour éviter un émiettement des droits et régimes applicables et éviter, ainsi, la satellisation des lois portant sur l'oeuvre. Le droit de la concurrence est un mauvais allié pour l'oeuvre, c'est même une menace pour le droit exclusif de l'auteur.

53. En résumé, le cryptage est contraignant quant à sa mise en oeuvre et il constitue une nécessité. Mais " il est clair que la technique ne doit pas se substituer au raisonnement juridique " . Et à ce titre, on peut ajouter que l'auteur peut imposer par contrat individuel, les modalités d'utilisation de son oeuvre et obtenir par la même une protection plus étendue que les règles prévues par le Droit d'auteur. Le cryptage accompagne naturellement les actions législatives et-ou contractuelles.


B- le possible retour au principe

54. Le cryptage offre donc la possibilité à l'auteur de revenir sur son droit exclusif omnipotent (1). Toutefois, le Droit d'auteur est le fait de la volonté du législateur. Il le conjugue avec un environnement juridique et socioculturel important. Quelle est donc l'opportunité d'un tel retour aux sources ? (2).


1- Le retour au droit exclusif

55. Le constat de la situation actuelle du monopole de l'auteur montre, en extrapolant, une novation de ce droit en un droit à rémunération équitable. Le monopole originel semble donc dépassé (a). Mais pour envisager la situation du monopole il ne faut pas perdre de vue les principes fondateurs du Droit d'auteur (b).


a) Le monopole dépassé ?

56. Le Droit d'auteur est dans la tourmente. Le droit exclusif de l'auteur subit de nombreuses attaques. L'atteinte à ce caractère exclusif est directe par la pratique des utilisations abusives de l'oeuvre, et par l'adoption du système des licences non volontaires.

57. A. DIETZ évoque, même, un changement de paradigme. Selon lui, les modèles d'explication et de valeurs changent. La conception personnaliste est en passe d'être remplacée par un droit social où l'auteur est un travailleur culturel. L'individualisme ne serait plus désormais le fondement du Droit d'auteur, mais les intérêts industriels ; dès lors la question n'est plus la protection du Droit d'auteur en soi, mais plutôt " de savoir qu'elle importance revêt le Droit d'auteur dans le cadre des industries du Droit d'auteur ? ". L'auteur devient un simple participant au résultat économique de son produit.

58. Selon I. CHERPILLOD, le Droit d'auteur est issu d'une préoccupation du sort de l'auteur, auquel on voulait donner un statut, une protection. Mais la tendance est à une réification : c'est finalement la création et parfois même l'investissement qui font l'objet de la réflexion actuelle du Droit d'auteur... Mme I. De LAMBERTERIE prétend qu'il est soumis à un double mouvement : " une expansion quant aux objets protégeables qui s'accompagne d'un affaiblissement des prérogatives de l'auteur, personne physique ". Ce tableau est peu réjouissant mais il traduit la réalité.

59. D'ailleurs, le monopole de l'auteur suit ce mouvement. Il semble ainsi s'extraire de la sphère d'autorité, de décision souveraine pour se transformer en une obligation, certes contraignante, d'intéressement au succès que rencontre son oeuvre, à un droit à rémunération équitable. Il est certain que la sauvegarde de ce monopole ne peut intervenir qu'à l'intérieur de certaines limites. L'exercice du monopole n'échappe pas à l'abus. Il faut trouver un équilibre inspiré des sources.


b) Les sources du Droit d'auteur

60. Prolongement de sa personne, l'oeuvre est soumise, selon la vision égocentriste de la loi du 11 mars 1957, au droit exclusif de l'auteur, à son monopole, et/ou à son droit de contrôle de la destination de ses oeuvres. Les liens entre l'oeuvre et l'auteur sont viscéralement forts.
Cette vision est retraduite par PORTALIS au niveau de l'analyse même de la propriété. Selon cet auteur, dans le cas de la Propriété Littéraire et Artistique, " il n'y a pas seulement propriété par appropriation, comme le dise les philosophes, mais propriété par nature, par essence, par indivision, par indivisibilité de l'objet et du sujet ".

61. Dans notre système de Droit d'auteur, le monopole d'exploitation n'est pas une prérogative octroyée au créateur pour l'inciter, par l'appât du gain, à produire une oeuvre : il est l'expression d'une reconnaissance sociale. Il est peut-être l'heure de redonner à cette reconnaissance un second souffle ?!
En effet, le créateur " offre " son oeuvre au public, qui la reçoit comme un " bienfait " de sorte que l'on conçoit mal qu'il puisse avoir sur elle un quelconque droit. Selon une ancienne jurisprudence, l'exercice même d'un art exclut toute idée de domesticité. On mesure donc bien le sens originaire du monopole de l'auteur, en tout cas son inspiration humaniste.

62. Quant à la théorie du droit de destination (qui est d'ailleurs fortement contestée), on peut penser que le cryptage apporte des arguments positifs à ses partisans. Le cryptage conforte, en effet, l'idée du droit de destination où l'auteur possède la maîtrise fondamentale sur la diffusion de son oeuvre, sur l'usage que les tiers peuvent faire des exemplaires de l'oeuvre circulant dans le commerce.
En fait, le cryptage conforte l'esprit des partisans du droit de destination, mais il le dépasse et simplifie le raisonnement juridique en revenant au principe du monopole de l'auteur, dégagé de tout artifice.

63. A son origine, le Droit d'auteur était une machine " antiéconomique ", du moins un frein à la circulation marchande. Faut-il revenir à cet état par le renfort du cryptage ? Pour y répondre, il faut mesurer les forces en présence, les contraintes et la réelle nécessité, au sein d'un incontournable marché.

64. D'ailleurs, de quoi parle-t-on ? de monopole ! Etymologiquement, l'expression monopole nous renvoie au marché. Littéralement, en grec, cela signifie " vendre seul ". Un monopole est un régime de droit ou une situation de fait ayant pour objet ou résultat de soustraire à toute concurrence. L'idée de monopole se conçoit par rapport à un marché, elle revêt, en tout cas, une connotation économique dont il ne peut se séparer. Qu'elle est donc l'opportunité du retour aux sources dans un tel contexte ?


2- L'opportunité du retour aux sources

65. La question est essentielle. Il en va de la survie et du sens réel que l'on veut donner au monopole de l'auteur. La logique du Droit d'auteur consacre la prédominance de l'auteur et édicte des règles simples de protection. Face à une balance des intérêts qu'il faut stabiliser au sein du " marché culturel " (a), quelle est la place du monopole ? Qu'impose l'analyse juridique en matière de monopole ? (b).

a) La balance des intérêts dans " un marché culturel "

66. Le cryptage, et avec lui les nouvelles technologies, mettent en lumière le rapport ambigu qu'entretiennent le Droit d'auteur et le droit du public.
En définitive, la question du droit du public sur l'oeuvre revient à celle plus générale du droit à la culture. Le droit à la culture s'oppose-t-il au Droit d'auteur ? Le Droit d'auteur possède-t-il une réelle finalité culturelle ? Comment doit s'articuler cette balance des intérêts ?

67. Selon C. COLOMBET, le droit des créateurs s'insère progressivement dans les droits fondamentaux de l'homme. Il faut rendre compte que cette vision a été rendue possible par l'inscription du Droit d'auteur dans la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948 : - article 27, alinéa 2, "2- Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur ".
Mais le premier alinéa de cette même Déclaration stipule : " 1- Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ". Il y a donc controverse sur le point de savoir comment conjuguer ces deux dispositions.

68. De nombreux auteurs penchent dans le sens d'une complémentarité des textes. D'autres, comme A. KEREVER, y voient une hiérarchie indiscutable. En fait, il semble que nous soyons face à un conflit de droits, où l'on peut, essentiellement, percevoir l'affirmation que le public est, en tout état de cause, le destinataire naturel de l'oeuvre.

69. Au plan communautaire, la Commission paraît elle-même partagée entre une " optique de politique industrielle et une optique de politique culturelle ". L'orientation semble être celle d'un compromis entre le système du copyright et celui du Droit d'auteur. Il s'agit donc d'une question d'équilibre, peu évidente à trouver d'un point de vue juridique.
A ce sujet, l'article 128 du Traité sur l'Union Européenne de Maastricht vise les aspects culturels de la construction européenne et incite la coopération des Etats membres pour " l'amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture... ". Le droit du public semble primer.
D'ailleurs le droit communautaire, comme l'exprime B. EDELMAN, " nous accoutume à considérer le Droit d'auteur du seul point de vue du marché (culturel) ". On constate que la Commission est guidée par les notions de production et de concurrence. Le Droit d'auteur constitue seulement, dans cette optique, un environnement juridique.
Selon A. STROWEL, le Droit d'auteur est un mécanisme juridique indissociable de l'existence d'un marché des oeuvres, dans cette mesure le Droit d'auteur est un droit économique. Mais il ne faut pas réduire le Droit d'auteur à une telle fonction économique. Il serait intéressant de voir comment se prononcerait la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) sur les dimensions constitutives du Droit d'auteur. Un début de réponse nous a été donné au cours de la décision du 20 octobre 1993, à l'occasion de l'affaire dite Phil COLLINS.

70. Si l'on sort des frontières de l'Europe, on constate qu'aux Etats-Unis la finalité culturelle du copyright est reconnue dans le texte même de la Constitution. L'intérêt du public est le filigrane de la " philosophie économique de l'encouragement " et du concept même de copyright. Ce qui n'est pas le cas du Droit d'auteur. De plus, le débat est différent du notre compte tenu de la nature même du droit exclusif. Aux Etats-Unis, la doctrine majoritaire est contre un quelconque élargissement du monopole et suggère plutôt l'idée d'un droit légalement réglementé. Mais, le Livre Blanc propose des amendements allant dans un sens contraire. Il prône un retour à une plus grande protection du titulaire du copyright.
En France, la finalité culturelle n'est pas reconnue en tant que telle. L'attachement aux intérêts du public n'est pas aussi tranché, du moins dans les textes.

71. Au bilan de ce panorama des intérêts en cause, doit-on revenir à, ce que B. Edelman appelle : " la pureté de la Propriété Littéraire et Artistique ". D'ailleurs, le peut-on ? Le Droit d'auteur en France n'est en fait plus un système de pur Droit d'auteur. Le " voisinage " y est entré par la grande porte lors de la réforme de la loi du 3 juillet 1985. Mais peut-on raisonner à l'extrême et prétendre que si ce mouvement s'étend, bientôt le public verra certaines de ses prérogatives entrées dans les Droits voisins du Droit d'auteur ? Ceci ne nous semble pas réaliste et surtout incompatible avec la philosophie du Droit d'auteur qui est de protéger la création et non sa consommation ou utilisation.

72. Le Droit d'auteur apparaît comme un droit qui doit " accommoder les intérêts de trois groupes : auteurs, entrepreneurs et consommateurs " . Le Droit d'auteur servirait les intérêts de ces trois catégories : l'auteur perçoit des royalties, l'éditeur un profit et l'acheteur une copie de l'oeuvre. Mais, au fond, le Droit d'auteur n'est pas philanthrope. Sa préoccupation essentielle est la protection de l'auteur d'une oeuvre de l'esprit. Et on peut, grâce au cryptage, techniquement et théoriquement, revenir à ce principe. Mais le doit-on ? La question n'est pas simple. Tenons nous à la rigueur juridique.


b) Le domaine de l'analyse juridique en matière de monopole

73. On ne peut se résoudre ici à projeter l'avenir du Droit d'auteur au regard du droit à la culture. Mais, en l'état actuel, nous pouvons apporter un concept clair : s'il existe un véritable droit à la culture fort et contraignant, l'auteur se verra par conséquent affublé d'obligations. Or, l'auteur n'a pas à être débiteur de ce droit à la culture. Ceci est inconcevable juridiquement et philosophiquement.

74. De plus, il faut faire attention, le droit à la culture et le Droit d'auteur ont des domaines juridiques naturels différents. Le Droit d'auteur ne s'intéresse qu'aux oeuvres portant protection, or la Culture est plus vaste : est bien de culture ce qu'un groupe social reconnaît comme tel.

75. L'auteur n'a pas à faire les frais de la politique culturelle et éducative. En fait, un équilibre doit être trouvé entre les intérêts économiques de l'auteur (sa part de marché effective et potentielle) et ceux du public (jouir des oeuvres le plus commodément possible par un accès plus aisé). Il faut aussi lutter contre la tendance de la pratique qui bafoue le Droit d'auteur. Majoritairement, les reproductions sont effectuées en violation du Droit d'auteur. On doit mettre fin, aussi, à cette tendance de démission du législateur qui n'envisage qu'une transformation du droit violé en un droit à juste indemnisation !

76. Finalement, le cryptage maintient, garantit le monopole tel qu'il apparaît aujourd'hui. L'idée d'un retour en force et d'une prépondérance hégémonique du droit exclusif n'est pas admissible pour certains, mais il en est de l'avenir du Droit d'auteur de réagir. Ainsi, le professeur A. LUCAS affirme-t-il : " le recours au cryptage est incontestablement un progrès et il faut souhaiter qu'il ne soit pas entravé par l'affirmation du droit à l'information et à la culture ".
Grâce au cryptage, un équilibre du rapport de force s'instaure : on possède l'arme pour lutter contre les excès du pillage du Droit d'auteur.

77. Les interrogations sont donc grandes quant à l'avenir du Droit d'auteur et surtout quant à la place de l'auteur. Dans le sens d'une plus grande considération, on peut s'inspirer de la vision d'un auteur, Milan KUNDERA : " Les temps modernes ont fait de l'homme, de l'individu, d'un ego pensant, le fondement de tout. De cette nouvelle conception du monde résulte aussi la nouvelle conception de l'oeuvre d'art. Elle devient l'expression originale d'un individu unique (...). Si une oeuvre d'art est l'émanation d'un individu et de son unicité, il est logique que cet être unique, l'auteur, possède tous les droits sur ce qui est l'émanation exclusive de lui " . Le Droit d'auteur ne peut que conforter cette vision.
Derrière ce problème, se dessine des questions plus vastes, souvent rapportées, comme celle de la nature du Droit et de la place du juriste.

78. Après avoir étudié le cryptage et un aspect particulier, mais essentiel du Droit d'auteur, qu'est le monopole, nous allons tenter de faire la lumière sur l'influence du cryptage sur les prérogatives du Droit d'auteur.

(Suite...)

 

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